La Cour de justice de l’Union européenne a récemment précisé la notion de « consommateur moyen » dans un arrêt récent relatif aux prêts en francs suisses (CJUE, 21 septembre 2023, AM et PM c/ mBank S.A., aff. C‑139/22).
Elle a apporté ainsi des réponses attendues concernant l’expérience de l’emprunteur, à qui certaines juridictions françaises opposent sa connaissance présumée du risque de change attaché à un crédit immobilier hypothécaire libellé en devise étrangère, affecté à un investissement immobilier libellé en euros.La Cour de justice a ainsi rappelé que l’architecture des clauses abusives repose sur ce que l’on appelle « le consommateur moyen » lequel est un « critère objectif ».
Elle a retenu que « La notion de « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, a un caractère objectif et est indépendante des connaissances concrètes que la personne concernée peut avoir ou des informations dont cette personne dispose réellement (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2019, Pouvin et Dijoux , C‑590/17, EU:C:2019:232, point 24 ainsi que jurisprudence précitée). ( pt. 60 et 61)Il en résulte que « le respect de l’exigence de transparence doit être vérifié par rapport au standard objectif du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, auquel ne correspondent, notamment, ni le consommateur moins avisé que ce consommateur moyen, ni le consommateur plus avisé que ce dernier.
Par ailleurs, il ressort du libellé de l’article 2, sous b), de la directive 93/13 que la protection accordée par cette directive dépend des fins auxquelles une personne physique agit, à savoir celles qui n’entrent pas dans le cadre de l’activité professionnelle de celle-ci, et non pas des connaissances particulières dont cette personne dispose. Cette conception large de la notion de « consommateur » permet d’assurer la protection accordée par cette directive à l’ensemble des personnes physiques se trouvant dans une situation d’infériorité à l’égard d’un professionnel en ce qui concerne non seulement le niveau d’information, mais également le pouvoir de négociation, situation qui conduit ces personnes physiques à adhérer aux conditions rédigées préalablement par ce professionnel, sans pouvoir exercer une quelconque influence sur le contenu de celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2019, Pouvin et Dijoux, C‑590/17, EU:C:2019:232, points 25 et 28).
La notion de consommateur dispose en conséquence d’une conception « large » (point 68).Cet arrêt est important pour les emprunteurs frontaliers, disposant de revenus en francs suisses à la date de conclusion du contrat de prêt en devise.
Ces travailleurs frontaliers suisses sont des consommateurs au sens du droit de l’Union européenne et doivent en conséquence être informés, de manière suffisante et exacte, sur les risques de perte de change auxquels ils sont exposés en souscrivant un crédit immobilier en francs suisses, en cas de hausse du franc suisse pendant la durée du contrat, généralement de 25 ans. Le franc suisse s’est apprécié face à l’euro depuis le 1er octobre 2017 de 75% environ.
Les emprunteurs de crédit immobilier en francs suisses ont donc subi une perte de change, d’un montant significatif qui varie selon le cours CHF/EUR qui a retenu le jour de l’acquisition immobilière financée, le montant du prêt, le montant des opérations de change, qui peut également varier, selon qu’il s’agit du paiement des échéances ou du capital, faiblement ou fortement amorti, de la durée d’amortissement écoulée, voire de sa totalité en cas de prêt in fine.
Faute d’information suffisante, l’emprunteur n’a pas pu évaluer concrètement la perte de change qu’il pouvait subir pendant la durée du contrat, laquelle s’élève parfois à plusieurs centaines de milliers d’euros, parfois davantage.
La cible visée par les banques, notamment frontalières, ayant commercialisé des prêts en francs suisses, telles que le Crédit Mutuel, le Crédit Agricole, la Banque Populaire, la Caisse d’Epargne, mais également la BNP, la SG, le CIC, est constituée de ménages « frontaliers », résidant en France et dont l’un au moins des membres dispose de revenus d’activité en francs suisses. La décision de la Cour de justice permet également de ne pas distinguer le cas où les deux époux ont la qualité d’emprunteur, celui travaillant en Suisse aurait une connaissance présumée de la dangerosité du prêt en francs suisses, et l’autre pas, la protection contre les clauses abusives devant s’appliquer sans distinction aux deux.
Les emprunteurs de prêts en francs suisses sont également des particuliers n’ayant aucun revenu en francs suisses, par exemple dans le cadre d’un montage d’investissement locatif défiscalisant.
Ils peuvent agir en demandant au tribunal compétent de contrôler le caractère abusif des clauses du crédit immobilier en francs suisses selon les critères d’exigence de transparence posés par la Cour de justice de l’Union européenne, appliqués depuis septembre 2022 par la Cour de cassation et les juges du fond qui doivent vérifier que les banques ont communiqué, avant de conclure le prêt, aux emprunteurs, une information suffisante et exacte sur le risque de perte de change et son évaluation chiffrée.
A défaut d’information suffisante, le prêt en francs suisses peut être jugé abusif. Dans ce cas, l’emprunteur devra restituer à la banque le capital emprunté en euros, dont sera déduit l’ensemble des sommes versées par lui, en francs suisses, converties en euros au taux de change du jour du paiement, en ce inclus les intérêts et les pertes de change.Le prêt sera anéanti rétroactivement et l’économie réalisée par l’emprunteur peut se révéler être significative.
La première consultation est gratuite.